Bibliographie & sources

Autour de Radowitzky

  • Una vida por un ideal, Augustin Souchy, 1956
  • «Simon Radowitzky en el Uruguay», Lucce Fabbri, 1956
  • Simon Radowitzky. Martir o asesino ? Osvaldo Bayer, 1974
  • En Patagonie, Bruce Chatwin, 1977
  • La figura de Simon Radowitzky la Semana Roja, Marianne Equy, toulouse, 1995 [mémoire universitaire]
  • Entretien avec Esperanza Auzeac à propos de Radowitzky, en castillan, 40 min, 2001
  • Attention anarchiste ! Une vie pour la liberté, Augustin Souchy, 2006
  • «El anarquista y el coronel» dans Marcados a fuego. La violencia en la historia argentina. De Yrigoyen a Peron (1890-1945), Marcelo Larraquy, 2009
  • La biografia del anarquista Simon Radowitzky. Del atentado a Falcon a la Guerra Civil Española, Alejandro Marti, La Plata, 2010
  • «Simon Radowitzky. Un mito anarquista» in Sudesta #05 de janvier 2012

Sur l’Argentine

  • Les gauchos juifs, Alberto Gerchunoff, 1910 (2006)
  • Le chemin de Buenos aires, Albert Londres, 1927 (1998)
  • «Evocacion del primero de mayo de 1909», D.A. de Santillan, 1927
  • Severino Di Giovanni, el Idealista de la Violencia, Osvaldo Bayer, 1970
  • La FORA : ideologia y trayectoria de movimiento obrero revolucionario en la Argentina (1933), D.A. de Santillan, Buenos Aires, 2e ed, 1971
  • Un anarquista en Buenos Aires (1890-1910), Eduardo G. Gilimon, 1972
  • La Patagonia Rebelde (Quatre tomes), Osvaldo Bayer, 1972 – 1975
  • Los Anarquistas Expropiadores, Simon Radowitzky y otros ensayos, Osvaldo Bayer, 1975
  • El judaismo y la semana tragica: la verdadera historia de los sucesos de enero de 1919, Federico Rivanera Carlés, 1986
  • El movimiento obrero judio en la Argentina, collectif, 1987
  • Anarquismo argentino (1876-1902), Gonzalo Zaragoza, 1990
  • «Ethnicité et classe ouvrière : les travailleurs juifs à Buenos Aires (1900 – 1930)», Edgardo Bilsky dans Le mouvement social, numéro 159, 1992
  • Anarquistas de accion en Montevideo : 1927-1937, Fernando O’Neil, Montevideo, 1993
  • Les anarchistes expropriateurs, Osvaldo Bayer, Atelier de Création Libertaire, 1995
    Le texte intégral est disponible en brochure sur le site Basse Intensité
  • La Patagonie rebelle, Osvaldo Bayer, Atelier de Création Libertaire, 1996
  • L’anarchisme en Argentine de 1870 à 1910, Marianne Equy, Marseille, 1998
  • Anarquistas. Cultura y politica libertaria en Buenos Aires (1890-1910), Juan Suriano, Buenos Aires, 2001
  • Diccionario de lunfardo y terminologia popular, Hector Romay, Bureau Editor, 2005
  • «Los anarquistas en idish en el imaginario social de Buenos Aires, 1905-1910», Leonardo Senkman dans Buenos Aires Idish, 2006
  • «La participacion de los obreros de habla idish en los origenes del movimiento obrero argentino» dans Buenos Aires Idish, 2006
  • Fuga del penal de Punta Carretas – 18 marzo 1931, 2007
  • «What’s a stereotype ? The case of jewish anarchists in Argentina», José C. Moya dans Rethinking Jewish-Latin Americans de Jeff Lesser et Raanan Rein, 2008
  • Juifs et anarchistes – Histoire d’une rencontre, Amedeo Bertolo, 2008
  • Viva la social !: Anarchistes & anarcho-syndicalistes en Amérique latine (1860-1930), collectif, 2013
  • «Aportes para la construccion de una poética del teatro anarquista de aficionados», Roberto Perinelli, non daté
  • «El monologo: una convencion de la escena libertaria (Rio de la Plata, 1900)», Eva Golluscio de Montoya, non daté
  • La FORA. El anarquismo en el movimiento obrero argentino, E. M. Gonzalez, non daté

 

Sur la Russie

  • L’annonciateur de la tempête, Maxime Gorki
  • Les anarchistes russes, Paul Avrich, 1979
    Le texte intégral du chapitre «Les terroristes» est disponible en brochure
  • Le Pain de la misère. Histoire du mouvement ouvrier juif en Europe (Tome I : L’empire russe jusqu’en 1914), Nathan Weinstock, 1984 (2002)
  • Y horrible sera su rabia – el anarquismo en Yekaterinoslav 1904 – 1908, Barcelone, 2007
  • Anarquistas de Bialystok (1903 – 1908), Furia Apatrida
  • Maria Nikiforova. La révolution sans attendre. L’épopée d’une anarchiste à travers l’Ukraine (1902-1919), Mila Cotlenko, Mutines Séditions, 2014
  • Vive la révolution, à bas la démocratie ! Anarchistes de Russie dans l’insurrection de 1905. Récits, parcours et documents d’intransigeants. Mutines Séditions, octobre 2016

Revendication du Groupe d’ouvriers anarchistes-communistes d’Ekaterinoslav (mi octobre 1905)

À tous les travailleurs,

Après un silence obstiné, la dynamite a parlé, défiant l’autorité et le capital. Le premier avertissement est lancé, sans phrase forte, ni sentence, mais dans une langue simple et claire. Les vampires du travail doivent bien comprendre qu’à partir de maintenant leur festoiement perpétuel est troublé une fois pour toutes. Que toujours, où qu’ils aillent, la main de l’anarchiste vengeur sera suspendu au dessus d’eux, comme l’épée de Damoclès toujours prête à trancher, pour les prendre par surprise dans un agréable banquet, dans un club, un restaurant ou dans les rues pleines de gens, dans leurs voitures, dans un train, dans une réunion, durant leur service ou dans leur propre maison. Ils ont joui de trop de tranquillité, ils ont trop usé les nerfs du prolétariat et sucé son sang. Le temps de payer est arrivé. Gloire aux lutteurs qui combattent ces hyènes maudites, les arrachant du cou du peuple ! Qu’elles sachent que nous ne parlerons avec elles que dans une seule langue, celle de l’attentat, et que l’unique demande que nous enverrons sera de la dynamite. Et cela où qu’elles soient, assises dans leurs bureaux de banques, en réunions d’actionnaires, en conférences entre industriels ou au parlement. Nous les avons vu, les assassins du prolétariat, quand ils se riaient de notre «simplicité mentale» ou de notre crédule docilité. Nous nous souvenons qu’eux ont été sourds et muets face à nos besoins. Nous savons qu’en réponse à une grève pacifique, ils ont mis à la porte 1000 ouvriers des usines Ezau et Construction de Machines, les jetant à la rue, affamés et au chômage. Compagnons ! Assez d’oppression et d’humiliation ! Répondez à la violence par la violence et vous verrez que c’est la seule langue que la bourgeoisie comprend. Aucun négociateur, aucun appel au «sentiment humanitaire», aucun politique, aucun gouverneur, aucune grève pacifique, aucun contremaître ne vaut quelque chose. Tous vivent du sang des ouvriers. À bas tous ces gens ! Laissons les travaux si civilisés et cultivés et commençons la lutte contre la bourgeoisie. Nous savons que c’est seulement en démolissant ses piliers que nous nous libérerons. Dans nos actions pacifiques, lorsque nous avons marché à mains nues, nous n’avons reçu que des coups de feu ; Pour avoir participé à des grèves économiques, nous avons reçu des licenciements. Nous préparons une grève générale armée, violente, dirigée contre tout le système bourgeois. Nous développerons la terreur économique, individuelle ou de masse, frappant les bourgeois et leurs lèche-culs ! Nous avons beaucoup appris de la vie. Elle nous a montré dans toute sa nudité l’inimaginable exploitation capitaliste. La vie elle-même a démasqué l’État et le capital. Elle, qui nous a laissé des blessures ouvertes, nous a aussi ouvert les yeux. Nous avons compris que seul le peuple travailleur lui-même peut s’occuper de lui. Nous sommes allés combattre. Fatigués, amoindris par la faim, après la guerre et la crise, ils nous ont envoyé à la katorga [bagnes tsaristes situés en Sibérie et dans l’extrême-orient russe], entourés de soldats. Nous avons enfin compris ce que nous devions faire.

Que les pionniers de la lutte attaquent les rassasiés ! Que la répression populaire commence ! Que les voix des nouveaux héros, pas si nombreux, s’unissent aux cris de Ravachol, Vaillant, Henry et Farber* ! Que les actes individuels, peu à peu, deviennent un torrent de révolution qui rase les restes de la société bourgeoise ! En avant ! Luttons !

Rappelons nous, frères ouvriers, que nous devons répondre à la violence des dirigeants et que déjà des anarchistes-communistes ont protesté en lançant une bombe contre un bourgeois.

Groupe d’ouvriers anarchistes-communistes
Ekaterinoslav, mi-octobre 1905


*François Claudius Koënigstein dit Ravachol, Émile Henry et Auguste Vaillant sont trois anarchistes français qui à la fin du XIXème siècle réalisent plusieurs attentats et sont exécutés pour cela. Né en 1886 dans la ville de Porozov (actuel Belaruss) près de Bialystok, Nisan Farber poignarde un industriel et le blesse gravement à la sortie d’une synagogue, courant 1906. Le 6 octobre, il meurt lors de l’explosion de sa bombe dans le commissariat central, tuant flics et bourgeois.

Revendication du Groupe d’ouvriers anarchistes-communistes d’Ekaterinoslav (5 octobre 1905)

Compagnons ouvriers

En réponse aux tromperies capitalistes, à l’exploitation insolente au travail, à toutes les oppressions possibles et enfin, à la violence déchaînée contre les ouvriers en grève par la direction des usines Ezau et Construction de Machines, nos compagnons anarchistes-communistes ont assassiné un des principaux responsables des innombrables souffrances du peuple travailleur. Hier dans la nuit, une bombe composée de dynamite a explosé dans la maison du directeur et actionnaire de l’usine Construction de Machines à Amur. Celui-ci, sans honte, avait décidé de licencier, sans aucune raison, 3 000 ouvriers ; pour cela, il a payé de sa vie et de ses biens ! Compagnons ! Que notre première bombe nous apporte « l’esprit rebelle », ce sentiment sacré duquel surgira la flamme ardente de la révolution et qui allumera la haine dans vos cœurs ! Qu’elle rappelle à tous les insectes de bourgeois que vous, ouvriers, vous ne permettrez pas qu’ils s’imposent sans être châtiés ! Qu’elle soit un cri de guerre, l’appel à entrer dans la lutte anti-bourgeoise, dans la lutte de classe, l’appel à étendre la terreur économique et la grève générale révolutionnaire ! Mort à la société bourgeoise ! En avant au nom de la cause ouvrière, au nom de la révolution sociale !

Groupe d’ouvriers anarchistes-communistes
Ekaterinoslav, 5 octobre 1905

Lettre de Simon Radowitzky (juin 1924)

[…] Comment pourras-tu comprendre, ce n’était pas possible de dire dans le télégramme précédent quel travail il y avait et dans quelles conditions. Mais les circonstances m’obligent à dire la vérité. Je ne voulus rien manifester de tout cela ; j’avais encore assez de courage et d’esprit pour supporter les persécutions de mes matons ; mais comme tu entendras bientôt dire que je suis à nouveau au cachot, je vais t’expliquer ce qui s’est passé. Le premier jour où la nouvelle direction prit la charge du bagne, il y eut une punition au cachot, au pain sec et à l’eau. Personne ne savait pourquoi ; ils me prirent soudain et me traînèrent, me laissant inconscient. Jusqu’à aujourd’hui, j’ignore la cause d’une chose ou d’une autre. Les jours d’après, le directeur Palacios et tout le comité vinrent et me jetèrent tous mes livres, papier pour écrire, encre ; pour finir, ils laissèrent la cellule sans un brin de papier et cette même après-midi, un ordre arriva de me mettre à l’isolement, encore une fois, au pain sec et à l’eau. Après quelques jours, la garde m’appela et lut un ordre qui disait : «Par décision de monsieur le directeur, la punition est levée…» Je suis allé travailler à la carrière ; j’ai travaillé quelques jours, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’ils viennent pour m’enfermer de nouveau. Ils me mirent une autre période au pain sec et à l’eau et m’enlevèrent encore une fois la punition m’obligeant à travailler, aux travaux forcés. Toute tâche difficile et humiliante, ils me la gardaient. J’étais complètement isolé et avec interdiction de parler. Vu que maintenant j’entrais dans une période où le cachot, au pain sec et à l’eau, m’était plus pesant, ils voulaient en finir avec moi à force de travail et d’enfermement. Je n’écris pas cette lettre au son des plaintes ou des protestations ; non, ce n’est pas mon intention ; j’espère seulement te dire que ma persécution, je la dois à quelques individus qu’il y a ici et qui sont de la Ligue patriotique. L’un d’eux est un certain Bazan que j’ai entendu dire être chef d’une brigade de la Ligue à Cordoba. Et puis, lui et un autre semblent plus délirer sur moi. Mais comme je me considère supérieur à eux, et qu’un jour, je leur ai dit que ni eux, ni personne ne me volerait mes droits d’Homme et ma dignité d’anarchiste, ils ne savent pas quel mal me faire depuis. Sur conseils d’autres prisonniers, je vais travailler aux travaux forcés pour ne pas leur donner le goût de me mettre au pain sec et à l’eau. Malgré les interdictions que mes bourreaux m’ont imposé aujourd’hui ; j’ai du courage et je ne me courberai pas. Cette fois quand cette lettre t’arrivera, je serai au cachot ; alors s’ils ne changent pas mon travail, je refuserai de continuer à travailler et qu’ils viennent ces misérables. Pourquoi écrire est une chose, et comprendre cette dureté en est une autre, et ma patience s’achève déjà, surtout au rythme qu’ils tiennent à m’envoyer au travail et avec les ordres qu’ont les gardiens. Ils ont été jusqu’à commettre la stupidité de mettre dans les carnets de la garde que j’étais aux travaux forcés et sous surveillance renforcée…

Simon – Juin 1924

Lettre de Simon Radowitzky (janvier 1921)

À la Fédération Ouvrière Régionale Argentine

Compagnons travailleurs,
Salut. Sans espoir, résigné, enfermé et affaibli, mais courageux, j’attendais tranquillement dans ma grande et silencieuse réclusion, entre quatre murs, sans voir la lumière du jour, sans pouvoir parler à personne, j’attendais tranquillement et avec fermeté la mort. D’autres reclus, ne pouvant pas résister aux cruelles persécutions, se sont pendus ; d’autres sont morts anémiques, tuberculeux ; gardez présent compagnons, que celui qui entrait «à perpétuité», on lui interdisait la lecture, le courrier ; il ne pouvait ni fumer, ni même prendre un maté amer et il n’avait le droit qu’à une demie ration de nourriture. Moi, j’avais quelques livres dans la cellule et quand ils le surent, ils me les enlevèrent et laissèrent passer la lumière par la porte et la fenêtre ; je n’avais pu lire les livres faute de lumière. Mais ils ne se contentèrent pas de me rationner et de me mettre à l’isolement strict ; ils inventèrent, ils cherchèrent des prétextes et ainsi, ils venaient chaque deux ou trois jours, quatre ou cinq gardiens dirigés par Sampedro, ils m’emmenaient au cachot et m’obligeaient à me déshabiller complètement pour me fouiller. Plusieurs fois, étant fiévreux, je refusais de me déshabiller ; alors ils me menaçaient par la force. Et dans ma cellule, qu’est ce qu’ils ne faisaient pas ! Ils retournaient et cassaient tout ; ils m’enlevaient ce que mon père m’envoyait, et quand il n’y avait plus rien à me prendre Sampedro me retirait la pipette pour boire le maté. C’était vraiment curieux de voir les inspections ; chaque gardien semblait prendre une grande satisfaction à emporter quelque chose ; ils emportèrent jusqu’à mes médicaments et pour les prendre, je frappais à la porte et le gardien me les donnait, revenant me les enlever tout de suite. Je les réclamais et on me répondait de les réclamer aux supérieurs. Pour l’anniversaire de mon évasion, un groupe de musique avait joué sous ma fenêtre de 8 heures à 11 heures du matin ; ainsi que l’après-midi de 13 heures à 18 heures ; eux s’amusaient à me rappeler la date de mon échec. Ces trente hommes avec un chef d’orchestre croyaient me déranger, me faire souffrir, mais moi je riais de la perversité de mes bourreaux. Par manque d’aliment, par manque d’assistance médicale (à ce moment, ils interdisaient au médecin Izaza l’entrée du bagne parce qu’il protestait contre l’usage abusif du cachot), par manque d’air et de lumière, je suis malade. J’ai sollicité l’infirmier et pour le faire venir, j’ai du crier de la fenêtre mais les gardiens n’ont pas prévenu la garde et se sont excusés en disant qu’ils avaient oublié. Mes bourreaux, en fermant la porte, après l’inspection, parlaient à voix haute pour que je les entende : «Celui-là ne veut pas mourir, il est malade, il ne mange pas, il est mou et il n’a pas envie de se pendre». Un jour, comme je ne mangeai pas de viande ni de plat, je demandai s’ils me donneraient une assiette de soupe de malade et le gardien me répondit : « Ils te donneront plus vite une corde qu’une soupe [jeu de mot entre soga et sopa] ». Par pure curiosité, un jour, quelques officiers d’un navire demandèrent à me voir et quand ils ouvrirent la porte… ils frémirent à la vue de l’état dans lequel je me trouvais. Un officier inconsciemment, me demanda si j’étais au pain sec et à l’eau et le gardien répondit que je ne voulais pas manger. Je leur dis qu’il y avait plus d’une année que j’étais en demande qu’on me donne pour seule nourriture une assiette de soupe et que je me maintenais… moralement. Alors, Miguel Rocha, un chef de l’administration pénitentiaire, ordonna qu’on me donne la maudite soupe avec des pommes de terre : après quelques jours, on me la retira. Mais cela n’est rien ! Quand le navire école arriva, le médecin à bord fit quelques visites ; j’en ai demandé une et après quelques requêtes ils amenèrent le médecin accompagné de quatre surveillants, par crainte de ce qu’il dirait de l’état dans lequel il me trouverait. Quand je lui dis qu’il y avait deux ans que j’étais reclus sans sortir de la cellule, je ne pus parler d’avantage parce que le chef des surveillants fourra son nez dans la conversation et le médecin se retira. Ensuite, j’ai demandé qu’on m’examine ; ils me frappèrent et sous les regards inquisiteurs des gardes, le médecin s’acquitta de sa mission humanitaire en confirmant que j’étais atteint d’une inflammation chronique de la gorge et d’une insuffisance pulmonaire. Il me prescrit un bon remède mais une fois le navire partit, ils ne voulurent pas me donner le médicament ni me soigner, et la maladie continua son cours. Dans le quart de cellule du pavillon 5, où je me trouve, il y avait un autre reclus, dans les mêmes conditions, le compagnon Avelino Alarcon [un anarcho-syndicaliste membre du syndicat des boulangers], qui reçut quinze jours de cachot au pain sec et à l’eau pour être un de mes amis intime et anarchiste. Palacios le fit condamner à sa sortie du cachot. En peu de temps, il tomba malade. Un jour, il envoya une lettre à l’administration demandant l’assistance médicale et ils lui répondirent de se diriger vers le directeur. En même temps, Miguel Rocha ordonna qu’il ne lui soit donné ni papier ni crayon et que ne soit permis à aucun détenu d’envoyer quelque lettre que ce soit sans qu’il en ait pris connaissance, excepté au directeur ou à la famille. L’état d’Alarcon s’aggravait chaque jour d’avantage. Plusieurs fois, j’ai appelé l’infirmier et lui ait demandé que lui soit donné quelques médicaments pour qu’il puisse résister jusqu’à l’arrivée du médecin de Buenos Aires au bagne. On m’a répondu que je n’avais qu’à aller parler avec Palacios, et ainsi, semaines et mois passèrent. Un jour, j’ai obtenu un peu d’huile, du sucre, du thé et du lait concentré ; j’ai demandé au gardien s’il voulait me faire la faveur de donner cela à Alarcon, mais il refusa et quand ils vinrent m’inspecter, j’osai le demander à Sampedro et au chef de service, Gonzalez ; je les priai, et m’humiliai devant ces deux hyènes, mais assurément, il est plus facile d’attendrir une pierre que les cœurs de ces bêtes ; je leur dis que le sucre était à moi, que lui ne mangeait rien et ils me répondirent : «Quand il aura faim il mangera». Peu de jours après, à force d’insistance avec les gardiens, j’obtins qu’ils lui portent quelques vivres. Alarcon pleura, il connaissait le sacrifice que j’avais du faire pour pouvoir l’aider en quelque chose. Je demandais toujours au gardien comment allait Alarcon (certaines fois, la nuit, je parlais avec lui, quelques mots lors d’un instant d’inattention des gardes, mais ils nous dénoncèrent et la direction ordonna de punir de 15 jours au pain sec et à l’eau ceux qui parleraient) ; certains disaient la vérité, d’autres mentaient. Un jour, à l’heure du repas, quand ils ouvrirent la cellule d’Alarcon, je remarquai un grand silence ; après qu’ils aient distribué la nourriture, j’appelai le garde et lui demandai qu’il me dise la vérité sur l’état d’Alarcon. Il me dit que c’était très grave. Je demandai au garde X qu’il avise l’infirmier ; peu de temps après, l’infirmier vint et dit au garde : «C’est grave, mais je dois consulter G. N. Palacios et M. Rocha». Quand il leur dit qu’il était nécessaire de le mettre en isolement, Rocha et Palacios lui demandèrent s’il était sûr que Alarcon «allait mourir», et avant l’affirmation de l’infirmier, ils donnèrent l’ordre de le transférer en isolement. À six heures de l’après-midi, j’entendis les gardiens parler de le transporter ; je frappai à la porte, les gardiens m’ouvrirent ; presque à bout de force j’arrivai à la cellule d’Alarcon ; ils ne voulaient pas ouvrir la porte ; je leur dis : «et bien, au lieu de porter un cadavre vous en porterez deux». Ils ouvrirent enfin… quand il me vit, il fit un effort surhumain pour se lever. C’était un squelette, mes frères… Il me dit : «Ma mort s’approche ; je meurs tranquille, j’ai lutté pour notre idéal, pour le bien des travailleurs, j’ai toujours été loyal avec mes amis et juste dans ma conduite». Les gardiens qui étaient présents ne pouvaient retenir leurs larmes à voir s’embrasser deux victimes de la société actuelle. Par crainte que quelqu’un nous vît, car ils seraient jetés à la rue, les gardiens ne me laissèrent pas plus d’une minute. Peu de jours après, le 15 septembre, Alarcon mourut à l’isolement. Compagnons : vous pouvez imaginer quel a été mon état en voyant mourir à mes côtés un compagnon, un frère, et ne pouvant l’aider ni soulager son martyr. Peu de temps après, ils tueront de la même manière le prisonnier numéro 452 (Carlos Barrera). Celui-ci eut un échange de mots avec quelques gardiens ; ils le battirent et le mirent au cachot avec ordre de le garder au pain sec et à l’eau ; ensuite, ils lui ramenèrent un matelas et lui donnèrent une demie ration de nourriture, le laissant reclus. Quelques mois après, en raison de l’enfermement et des blessures reçues en luttant contre les gardiens, il tomba malade. Il demanda l’assistance médicale et on lui répondit : «tu es un vaurien, tu fais le malade pour qu’on lève ta réclusion». La douleur l’obligeait à se plaindre et, un jour, ignorant qui se plaignait, je le demandai au gardien. Il me dit «c’est le 452 qui fait le fou pour que sa peine soit levée». Je leur démontrai qu’il était trop humain pour faire semblant d’être malade et qu’ils l’avaient fait voir, tout au plus, à un infirmier mais il me répondit que le chef de service, Gonzalez, lui avait dit de se soigner tout seul. Ainsi, peu à peu, il perdit la raison ; il chantait, il sifflait. Une nuit je l’appelais et lui dis : «Compagnon, rends moi ce service, si cela est possible, de ne plus siffler la nuit car je suis aussi alité et malade» et il me répondit : «Frère, pardonne moi, je ne peux pas, ils m’ont empoisonné et il reprit ses plaintes : aïe ! … aïe !» Comme il se plaignait beaucoup, jour et nuit, le chef de la sécurité, Gonzalez, alla à la direction dire qu’un détenu faisait le fou et le malade, et Palacios et Rocha ordonnèrent (ainsi me le dit le gardien) : «laissez-le au pain sec et à l’eau, nous lui ferons passer sa folie». Ce fut ainsi jusqu’à ce qu’un jour le gardien dise à la garde «Il paraît que le 452 va mal». Le chef de service vint pour confirmer que c’était vrai et au même moment l’infirmier arriva. Celui-ci, après l’avoir vu, alla à la direction où on lui posa la même question que lorsque Avelino Alarcon était moribond, s’il était sûr qu’il allait mourir. Ils apportèrent la civière, l’emmenèrent à l’infirmerie et le jour suivant il mourut… en demandant de l’eau. Compagnons : l’émotion ne me laisse pas écrire ; je me rappelle tout ce que j’ai vu ces dix dernières années au bagne, des quelques six années passées dans les cachots, avec 20 ou 30 jours au pain sec et à l’eau, à l’isolement et avec, clouée à la fenêtre, une plaque avec des trous dans lesquels une allumette passerait à peine, écoutant les cris à côtés de moi «Ne me frappez plus s’il vous plaît, un peu d’eau». Et en hiver, les prisonniers sans vêtements aux cachots, ne pouvant résister au froid, demandaient qu’on les tue d’une balle, que ce serait plus humain. Peu de temps après que le prisonnier 452 soit mort (Carlos Barrera), le 122 se pendit. J’ignore comment il s’appelait ; il était aussi à l’isolement. Quelques semaines après, à force de trop de cachot, pendant trente jours au pain sec et à l’eau, ils tuèrent le 629. Un tuberculeux (Lastra, 450) mourut aussi. Un jour, à l’heure de l’inspection, un gardien me dit : «Attention avec les draps déchirés». Je lui demandai pourquoi il me disait cela et il me répondit, avec le sourire aux lèvres, qu’à l’heure de donner le café au détenu 632, ils l’avaient trouvé pendu avec un morceau de drap. «Eh, fais bien attention à ne pas déchirer les draps !» J’étais au lit, malade ; je ne pouvais pas me lever ; je l’ai insulté et j’ai eu la force de lui tirer le pot de chambre (zambullo) à la gueule. Je l’ai insulté, chassé… Pour eux, c’était un plaisir, vu que je m’affaiblissais, me consumais dans un cachot, ils venaient chaque jour me mortifier plus. Soudain, un jour, un gardien vint et me demanda si je connaissais le prisonnier 35, Luis Burgatto ; je répondis que je n’avais de compte à lui rendre sur rien. Alors il me dit : «il paraît qu’il devient fou». À l’entendre, je tressaillis. Cela faisait déjà plusieurs nuits que j’en entendais un parler tout seul. Que n’ont-ils pas fait avec lui ! Trois jours au pain sec et à l’eau en guise d’interrogatoire ; trente jours pour avoir touché un pain de contrebande lors d’une punition au cachot ! ; long enfermement, demi-ration de nourriture, des cris «Ne me cognez pas» qui sortent des cachots, les soupirs des malades, tout cela a eu une influence sur lui et lui fit perdre la raison. Une fois qu’il criait qu’il voulait parler au chef, ils le changèrent de cellule parce que sa fenêtre était en face de la garde et ils le mirent en face de la mienne. La plus grande partie des journées, ils le laissaient sans manger parce qu’il criait : «ça fait deux ans que je suis enfermé ; gars, gars, je suis innocent… ils m’ont empoisonné… chef !» Sur ordre du chef de service, Gonzalez, ils le laissèrent, un jour, non seulement sans nourriture, mais aussi sans eau et avec des planches clouées à la porte. Le prisonnier 35 se déchaîna et avec les planches de la couchette, commença à frapper sur la porte. J’appelai le gardien et le priai qu’il lui donne ma ration de pain et de nourriture pour l’apaiser, vu qu’il était malade de l’esprit. Il me répondit qu’il n’était pas malade, qu’il simulait. Les gardiens venaient pour se divertir avec lui et quand la nuit arrivait, Sampedro et son escadron l’emmenaient au cachot. Lui alors, voyant beaucoup de gardiens, refusait de sortir de sa cellule et criait : «Tuez moi, tuez moi…». Sampedro disait : «Je m’en fous, si tu n’y vas pas, nous t’emmènerons en te traînant par les pieds». Le malade, en entendant cela, saisit une planche et cria : «Celui qui entre, je lui casse la tête ; à l’aide ! à l’aide !» Compagnons : en face de ma cellule, un être humain a été assassiné… je ne pouvais plus supporter, je frappai à la porte, j’appelai les gardiens, je leur expliquai que s’ils lui donnaient de la nourriture, il se tiendrait tranquille ; qu’il était malade et qu’en plus, ils le laissaient sans manger quatre ou cinq jours par semaine, et qu’ainsi, forcément n’importe quel homme deviendrait furieux. Ils me répondirent de ne me soucier de rien et fermèrent ma porte. Vu qu’il ne voulait pas aller au cachot et que ses bourreaux craignaient qu’il leur casse la tête, ils firent ce qui suit : Au bagne, il y a un garde, Miguel Bolano ; cet homme était respecté par les prisonniers ; ils l’appelèrent (tout ce que je raconte, je l’ai entendu de mes propres oreilles) et Sampedro dit : «Essayons de le changer de cellule pour lui enlever les planches et après nous lui donnerons un matelas et de la nourriture». Le gardien Bolano s’approcha de la porte et il lui dit ceci : «Écoute Bugatto, comment va l’ami ? Aujourd’hui, ils t’ont laissé sans nourriture mais viens avec moi, nous changerons de cellule parce que celle-ci a la porte cassée», mais le malade refusa, disant qu’on le tuerait et prononçant quelques mots incompréhensibles. Le gardien insista : «Regarde, 35, tu sais qui je suis, je ne vais pas te tromper ; nous allons changer de cellule et après, je t’apporterais un matelas et de la nourriture ; je te donne ma parole d’homme». Le 35 le crut et alla dans l’autre cellule… qui était le cachot, et avant de se rendre compte où il était, ils fermèrent violemment la porte. Le garde Bolano revint à la cellule de Bugatto pour lui apporter le matelas et la nourriture, mais Sampedro l’appela pour qu’il retourne à la garde car il n’y avait personne. Ainsi, lâchement, ils trompèrent le gardien et le prisonnier. Ils gardèrent Bugatto deux jours à l’eau et cinq nuits sans couverture, et ensuite au pain sec et à l’eau jusqu’à ce qu’il ne puisse plus marcher. L’intention de la garde était de le faire mourir comme Alarcon et le 452, mais à cette période, un médecin de l’établissement arriva et un compagnon alla lui dire que dans le pavillon, il y avait un prisonnier gravement malade. Le médecin le visita. Il lui prescrivit des remèdes et ordonna qu’on lui donne un lit et un matelas mais eux, voulaient continuer le même traitement. Une semaine plus tard le médecin revint le voir parce qu’il continuait à crier la nuit : «Gars, pour ma mère… viens, où es-tu ?» Le jour qui suivit la visite du médecin, les bourreaux allèrent dans la cellule, le laissèrent au pain sec et à l’eau, sans matelas ni couverture. Comme il était alité, sans force pour marcher, ils lui donnèrent des coups de bâtons, lui prirent le matelas et les couvertures, les mirent dans la poubelle dans laquelle il urinait et il dut faire ses besoins au sol. La direction, pour éviter qu’un prisonnier puisse raconter cela au médecin, ordonna que les consultations se fassent en présence du chef de service, avec lui, ils étaient sûrs que personne ne se risquerait à parler de ce qui se passait dans le pavillon 5. Mais, alors que le médecin se trouvait à l’hôpital, un prisonnier de passage l’avisa que dans un cachot du pavillon 5, le prisonnier 35 était moribond. Le médecin revint ordonner qu’on lui donne nourriture, matelas et vêtements mais ses bourreaux voulaient en finir avec lui, et il lui donnèrent une demi-ration et un vêtement et récemment, quand la rumeur courut qu’une commission venait au bagne, ils lui donnèrent un matelas. Compagnons : gardez présent que ce que je vous dis dans cette lettre n’est qu’une partie de ce que je vis et entendis durant ces deux années enfermé dans le pavillon 5. Et les raclées dans les cachots, sous ma cellule, et entendre pleurer sous les coups et la faim ! Pour dire vrai, moi aussi, quand j’étais sain, la nourriture, la demie ration, je n’y touchais pas. Il y avait des nuits où la faim ne me laissait pas dormir. Et penser que sous ma cellule, il y avait les autres qui n’avaient même pas un peu d’eau, ni même un matelas… jetés au sol dans les nuits d’hiver… les soupirs, les cris ! C’était véritablement à devenir fou, et mes bourreaux, lorsqu’ils sortirent Bugatto, mirent dans la cellule un fou, le 406, qui à force d’enfermement, de cachot et de coups, perdit la raison et passa nuit et jour à répéter cette rengaine : «la vérité de mes vérités est pure vérité et les vérités que je dis sont de vraies vérités». Il m’était impossible de continuer ainsi, car je ne pouvais pas dormir à cause de ses «vérités» qu’il chantait à voix haute. Je demandai à changer de cellule. Ils me répondirent : «Ainsi, il se divertit et ne s’ennuie pas mais s’il veut, nous en rendrons compte à la direction». Savez-vous ce qu’ils firent ? Voyant que mon état s’aggravait, que je ne mangeais pas et que je dormais peu, toutes les nuits, à minuit et à quatre heures, ils ouvraient la porte de ma cellule et me réveillaient en disant : «ça va ?» Je demandais que l’on me laisse tranquille au moins la nuit et on me répondit que s’était l’ordre d’un supérieur de venir me voir deux fois par nuit par « crainte » que je ne me pende… et depuis plus d’un an, j’ai un fou en face de ma cellule qui me chante «la vérité de mes vérités», etc, etc. Mais ce n’est pas le même fou. Avant il y en avait un autre, mais un curieux ; il rêvait et délirait, il se réveillait en criant au secours et en m’appelant : «Simon, s’il te plaît, détache-moi le nerf qui m’a emmené en enfer et qui m’a attaché le cœur…» Il pleurait, il criait. Les gardiens, des stupides ! Venaient la nuit s’amuser avec lui ; il y en a un autre qui crie dans son délire qu’ils ont tué sa femme et ses enfants. À cet homme, un officier de police à Cordoba, déshonora une de ses filles et la mit dans une maison de prostitution. Lui, en l’apprenant, tua l’officier et fut condamné à 25 ans de bagne. Depuis qu’il était arrivé ici, il avait perdu la raison. Au début, comme d’habitude, ils disaient qu’il faisait le fou mais cela fait déjà trois ans qu’il est dément et que ne lui ont-ils pas fait ! C’est vraiment incompréhensible qu’il ne soit pas mort avec tous les mauvais traitements qu’il reçut. Il ne retrouvera plus jamais la raison. Je ne savais pas comment il s’appelait ; il a le numéro 273. Du 30 novembre 1918 jusqu’au 7 janvier 1921, je suis resté entre quatre murs, sans voir la lumière du jour et avec une demie ration. Et avec celle-là, je souffrais de quatre périodes d’isolement passées. La première fut de mars 1912 à octobre 1913, la seconde de février 1914 à décembre, et la troisième d’octobre 1915 jusqu’au 25 mai 1916. À chaque fois que je rentrais à l’isolement, j’avais d’abord vingt ou trente jours au pain sec et à l’eau ; après quand je travaillais je souffrais de ces enfermements. Le 3 janvier, à l’heure du repas, l’inspecteur de justice, docteur Victor Baron Peña se présenta dans ma cellule. Il me demanda comment je m’appelais. Je lui dit mon nom. Bien que je sache déjà qu’il était pour plus de sécurité, je lui demandai : «Êtes vous l’inspecteur de justice ?». «Oui». Je voulus parler mais il me dit qu’il allait d’abord manger et qu’il me parlerait le jour suivant. Ce fut ainsi. L’autre jour, pendant l’après-midi, la direction m’appela et je dus me confesser : j’avais à peine assez de force pour marcher et me tenir debout. L’inspecteur de justice dut me donner une chaise sur laquelle je m’assieds pour pouvoir parler. Je parlais, je parlais beaucoup ; je racontais tout ce que j’avais vu et souffert depuis le jour où j’étais arrivé au bagne ; tous les isolements, les cachots, les persécutions dont sont victimes les prisonniers. Il était très attentif : il me dit que tout changerait, qu’il viendrait avec une mission humanitaire faire justice. Je lui démontrais que lors des multiples interventions, les prisonniers avaient été bien traités lorsqu’elles arrivaient, et le jour qui suivait le départ des inspecteurs, en route vers la capitale, les vieux procédés reprenaient au bagne. Il m’assurait que cette fois ce ne serait pas ainsi et qu’ils suivraient les ordres qu’il donnerait ; que l’on traiterait les prisonniers humainement. Ensuite, les prisonniers défilèrent devant lui. Certains tombèrent en allant à la direction ; alors, l’inspecteur alla jusqu’aux cellules et là-bas, l’homme se trouva sans force pour contenir ses larmes, en écoutant un prisonnier, qui pour avoir demandé au chef de service, Gonzalez, qu’on le fasse soigner, étant malade, et pour l’avoir crié à la fenêtre, a pris 37 jours au pain sec et à l’eau (au moment où j’écris, il est moribond ; hier ils nous ont levé de l’isolement moi et un autre compagnon) ; et les souffrances inaudibles des autres qui devinrent fous par la faim et les raclées ; ceux qui sont depuis plus de deux ans sans chemise et d’autres (un fou qui l’a insulté) qui pour parler à la fenêtre souffrirent de trente jours au pain sec et à l’eau ou quand par plaisir Sampedro décidait de remplir les cachots. L’inspecteur est vraiment digne d’admiration ; compagnons : il fait honneur à la justice. Jusqu’à une heure du matin il allait de pavillon en pavillon et de cellule en cellule. Il suspendit Palacios et Rocha ; il renvoya six matons, et le 7 janvier, il leva de l’isolement tous les prisonniers du pavillon 5. Malheureusement pour moi et d’autres détenus, la porte s’ouvrait un peu tard. Mais au moins j’aurais une satisfaction en mourant, avoir vu un être humain et la lumière extérieure. Et l’inspecteur ne fit pas que cela, il était un homme, un homme d’honneur. Le jour où il parla avec moi, en m’en allant, je lui dis que s’il voulait des preuves des raclées que nous prenions au cachot, dans le pavillon où j’avais été enfermé il pouvait trouver les bâtons et une balle de sable ; je lui indiquait l’endroit où elles étaient cachées, il y alla, les trouva, et trouva encore plus. Ceux de la direction, c’est-à-dire Palacios et Rocha dirent que les bâtons étaient aux prisonniers (quand il trouva les bâtons, il se présenta au chef de la sécurité, José Muzzo, et quand l’inspecteur lui demanda pourquoi les bâtons étaient là, il ne sut rien répondre, il resta confondu) et que nous avions des armes à feu, des couteaux, des dagues, etc. Le jour suivant, l’inspecteur ordonna que tous les membres du personnel se présentent à trois heures du matin. Ils crurent que cela était un nouvel ordre ou une manœuvre quelconque. À trois heures, l’inspecteur se présenta et demanda à fouiller les cellules. La fouille dura de trois à neuf heures, effectuée en présence de l’inspecteur, et les uniques choses qu’ils trouvèrent furent des amadouviers… et des bouts de chaînes. L’inspecteur rit et demanda si ici les amadouviers [champignon utilisé comme bougie] étaient des armes à feu et les couteaux… des bouts de canettes que les détenus avaient pour couper leur viande. Alors ils comprirent que l’inspecteur n’était pas venu écouter le groupe de musique ni assister aux banquets. Certains prisonniers refusant d’aller travailler, la pression monta dans les pavillons avec les gardiens ; mais tous les détenus le comprirent et dénoncèrent à l’inspecteur que c’était les gardiens qui avaient fait naître les troubles pour que les prisonniers se révoltent ; tout ceci fut inutile car les prisonniers étaient unis et ils se conduisirent très bien durant leurs déclarations. Peu de jours après, une commission de quatre diplomates arriva par le croiseur San Martin. D’abord ils allèrent au pavillon 5. Arrivant à ma cellule, ils me demandèrent pourquoi j’étais tant persécuté au bagne. J’ai parlé plus de deux heures ; je leur appris tout, comme je le fais dans cette lettre, les châtiments, les isolements, etc, etc. Je ne pouvais plus parler, j’étais malade de la gorge et cela me coupait la voix. Ils allèrent dans les autres cellules et furent horrifiés de voir le reste des détenus. «Vraiment – diront-ils – la réputation dont jouit ce bagne est justifiée». Quand ils allèrent à l’isolement, presque tous les malades avaient été victimes du pavillon 5, ils écoutèrent, ne pouvant regarder les moribonds ni les tuberculeux crachant du sang.

Compagnons, travailleurs : Au nom de tous ceux que j’ai croisé au bagne, mes compagnons d’infortune, nous saluons et approuvons votre initiative contre les crimes de ce sombre bagne.

Simon Radowitzky
Bagne d’Ushuaïa, janvier 1921

PS : Maintenant le bagne fonctionne réglementairement, mais… hier, ils votèrent un nouveau règlement qui semble retourner vers l’ancien. Nous verrons. Pour clore ce sujet dont je vous parle dans cette lettre, ils ont fait cela : ils enlevèrent la fenêtre et comme le volet a la même taille, ils le clouèrent et le prisonnier dut alors supporter le vent gelé qui entrait par les 400 petits trous d’allumette… Dans cet état, l’inspecteur rencontra mon ami, à l’isolement, Enrique Arnold (165) [condamné en 1911 à 25 années de bagne pour le meurtre, qu’il nie, de Ester Naddeo avec qui il avait une aventure amoureuse secrète]. Le médecin, ensuite, prit soin de lui un mois sinon il serait mort. Ce détenu était malade et ils le persécutaient pour être un intellectuel et parce qu’il ne voulait pas vendre sa plume au major Grandon et à G. N. Palacios. C’est digne d’admiration que d’avoir souffert autant pour le bien-être des prisonniers.

Simon…

Réfugiés de guerre & exilés

À partir de février 1939, le Mexique accepte plusieurs dizaines de milliers de réfugiés de la guerre d’Espagne. Radowitzky arrive en juin 1939 avec de faux papiers cubains via Montpellier, Paris et la Belgique. Installé, il se fait alors appeler Raul Gomez Saavedra. À Mexico, le poète uruguayen Angel Falco lui trouve un emploi au consulat d’Uruguay où lui-même travaille. La Seconde Guerre mondiale éclate en septembre 1939. Selon une biographie écrite en 2010, plus de trente ans après son départ de Russie, en 1940, il réussit à voir ses frères à la frontière entre le Mexique et les États-Unis, sa mère, malade, n’ayant pu faire le voyage. Pour se rendre aux États-Unis, il tente d’obtenir la nationalité mexicaine. Afin d’éviter une expulsion future des réfugiés espagnols vers l’Espagne de Franco, en cas de changement politique, le pouvoir mexicain octroie alors sa nationalité à nombre d’entre eux. Malgré cela, la demande de visa de Radowitzky est refusée au motif qu’il est sur la liste des anarchistes considérés dangereux. Par la suite il s’y rend clandestinement. Selon A. Souchy, il participe après la Seconde guerre mondiale à la section mexicaine d’une organisation internationale œuvrant pour l’envoi de médicaments aux réfugiés dans l’Europe dévastée. En avril 1946, Radowitzky, accompagné du vieil anarchiste Tomas Ferrari, assiste à la troisième conférence des États d’Amérique membres de l’Organisation Internationale du Travail, organisée au Mexique. Il y croise Libertario Ferrari (fils de Tomas), un dirigeant syndical de la Confédération Général du Travail argentine, avec lequel il se dispute sur le soutien de ce syndicat à Juan Peron. Formée en 1930 par le rapprochement de l’Union Syndicale Argentine – elle-même issue d’un regroupement entre une scission non-anarchiste de la FORA et d’autres syndicats en 1922 – et de la Confédération Ouvrière Argentine, la CGT soutient dès 1943 la politique du ministère du travail dirigé alors par Juan Peron. En 1945, elle devient le principal moteur des manifestations de solidarité à Peron emprisonné et l’un des piliers de sa politique lorsqu’il est élu en 1946 à la présidence argentine. La CGT devient partie intégrante du péronisme, cette forme de populisme argentin que met en place Peron.

Radowitzky est embauché dans une usine de fabrication de jouets pour enfants. Il vit à Mexico avec sa compagne – dont nous ne savons rien. Il fait de nombreux aller-retour à l’hôpital, tant sa santé est mauvaise. En 1946, le Consulat espagnol du gouvernement républicain en exil au Mexique fournit un certificat de nationalité espagnole pour «Simon Radovizky Polinsky, fils de Najman et Jaie, originaire de Stepanetz, province de Russie, né le 1er décembre 1889», domicilié à Mexico.

Au Mexique, la communauté des exilés de la guerre d’Espagne ou d’ailleurs est diverse. S’y croise des anarchistes du monde entier et de toutes tendances, d’ex-membres du groupe anarchiste yiddish Frayhayt basé aux États-Unis, d’anciens réseaux de soutiens aux prisonniers anarchistes en Russie, des anarcho-syndicalistes, des anti-fascistes exilés, etc. Radowitzky se lie d’amitié avec certains. Il a aussi des contacts épistolaires épisodiques avec quelques anarchistes de part le monde. Pendant ces années mexicaines, Radowitzky consacre une partie de son temps à des projets d’édition de textes et de brochures anarchistes.

Il meurt le 29 février 1956. Il existe plusieurs versions concernant sa mort. La première est qu’il est mort d’un arrêt cardiaque chez lui, la seconde dans un hôpital. Une troisième raconte, selon un témoin, qu’une voiture l’a fauché sur le bord de route mais les flics n’ont pas retenu ce témoignage et le déclarent mort d’un arrêt cardiaque sur la voie publique. Selon cette version, ses proches préfèrent rendre public une mort moins mystérieuse qu’une exécution ou un accident. Il arrive que le 1er mars soit aussi donné pour date de sa mort. Augustin Souchy publie en 1956 Una vida por un ideal, un recueil de textes sur Radowitzky, édité par le Grupo de Amigos de Simon Radowitzky à Mexico. Posée dans le cimetière municipal de la ville de Mexico, sa pierre tombale précise : «Simon Radowitzky (Raul Gomez) 1889-1956 / Ici repose un homme qui lutta toute sa vie pour la liberté et la justice sociale».

Notons pour l’anecdote plaisante que le monument en l’honneur de Falcon à Buenos Aires est tagué d’un fier «Simon Vive» et qu’en 2010, en Argentine, un groupe d’anarchistes a revendiqué ses actions sous le nom de Nucleo Simon Radowitzky, et au Mexique, des cocktails molotovs ont été lancés par la Brigada de Accion Revolucionaria por la Propaganda por el Hecho y la Accion Armada – Simon Radowisky.

Espagne, 1936

Depuis la victoire des Républicains en 1936, la situation en Espagne est insurrectionnelle. L’opposition entre, d’une part, les tendances républicaines et révolutionnaires et, d’autre part, les nationalistes espagnols aboutit au coup d’État militaire de juillet 1936, avec à sa tête Francisco Franco. Dans ce contexte, les forces politiques et militaires des républicains socialistes, des communistes et des anarchistes s’unissent dans un large front anti-franquiste : c’est le début de la guerre civile espagnole. Dans les régions tenues par les anarcho-syndicalistes de la Confédération Nationale du Travail (CNT) ou de la Fédération Anarchiste Ibérique (FAI) de larges réformes sont mises en place et un «pouvoir révolutionnaire» est instauré. Les forces armées nationalistes se lancent dans la conquête totale du territoire, dans une guerre contre toutes les tendances unies dans ce front. Cette situation suscite une vague de solidarité à travers le monde et de très nombreux «internationalistes» rejoignent l’Espagne pour venir en aide aux anti-franquistes, souvent pour prendre part aux combats. À côté des Brigades Internationales organisées par l’URSS stalinienne et les communistes espagnols, des anarchistes et des communistes anti-staliniens forment leurs propres structures combattantes. Depuis l’Argentine et l’Uruguay, des anarchistes s’organisent pour faire parvenir de l’aide en Espagne et mettent en place un réseau pour envoyer les volontaires sur place. À partir de septembre 1936, les Républicains tentent de militariser les milices (colonnes) anarchistes afin de les intégrer sous le commandement unique de l’Armée Populaire de la République (APR), l’organe militaire regroupant toutes les tendances anti-franquistes. En 1937, les colonnes anarchistes sont fusionnées – malgré les résistances de certains combattants anarchistes – et deviennent des divisions de l’APR. Radowitzky rejoint en mai 1937 la 28ème Division menée par Gregorio Jover. Il incorpore le 500ème bataillon de la Brigade Mixte 125 composée principalement de combattants des ex-colonnes anarchistes Los Aguiluchos (Les Aiglons) et Ascaso. Radowitzky est chargé de la logistique vers l’Aragon. Daté du 1er septembre 1937, un document signé du chef du 500ème bataillon confirme sa présence sur le front aragonais le 28 août. La dernière mention de la présence de Radowitzky sur le front militaire est un sauf-conduit jusqu’à Barcelone daté du 24 mars 1938. Dans une lettre d’avril adressée à Salvadora Medina Onrubia, Radowitzky explique qu’après dix mois passés sur le front, il n’a été que deux fois à l’hôpital : la première pour une crise de paludisme et la seconde à cause de son état de fatigue. Il est employé fin avril par le Bureau de Propagande Extérieure de la CNT-FAI, chargé de publier journaux, brochures, livres en différentes langues et situé à Barcelone. Les trahisons successives et les mauvais coups des communistes pour le leadership révolutionnaire, selon les projets de l’URSS, vont entraîner la mort ou l’exécution de nombreux combattants et volontaires, anarchistes et communistes anti-staliniens. L’avancée militaire progressive et inéluctable des nationalistes va, quant à elle, permettre aux franquistes d’instaurer en avril 1939 une dictature, conservatrice et catholique, proche du fascisme italien et soutenue par l’Allemagne hitlérienne. La chute de Barcelone en janvier 1939 et la prise progressive de toute les régions d’Espagne poussent des centaines de milliers de civils et d’anti-franquistes sur les routes de l’exode. Le 23 janvier, le gouvernement républicain déplace son siège à Figueres, dans le nord de la Catalogne, qui devient la nouvelle capitale de la République espagnole. Le 28, le Comité National de la CNT charge Radowitzky de transférer ses archives à Portbou, un village catalan à la frontière franco-espagnole. Fuyant l’avancée des troupes franquistes, près de 500 000 personnes traversent les Pyrénées pour se réfugier en France : ce que l’histoire officielle retient sous le nom de Retirada. Les autorités françaises sont débordées par l’afflux de réfugiés. Elles décident de désarmer les milices anti-franquistes et de maintenir tous les réfugiés – miliciens, civils ou politiciens – essentiellement dans les Pyrénées-Orientales. Ils sont installés dans des camps répartis dans le département et dans lesquels les conditions sanitaires sont déplorables. Les réfugiés y meurent de dysenterie ou de paludisme. Radowitzky est interné au camp de Saint-Cyprien situé sur la côte méditerranéenne à une dizaine de kilomètres à l’est de Perpignan. Actif entre février 1939 et octobre 1940, le camp de Saint-Cyprien accueille plus de 30 000 personnes. Dans une lettre qu’il adressera en septembre à Luce Fabbri depuis le Mexique, il décrit les conditions d’enfermement dans ce qu’il appelle un camp de concentration : «Après trois jours avec seulement du pain à manger, nous nous sommes décidés à sortir la nuit pour voler un peu de riz et des pois chiche dans un des camions gardés par les gendarmes. En ce qui concerne le traitement par les gendarmes et les [tirailleurs] sénégalais, il s’est un peu amélioré car l’un d’entre eux s’est fait tuer dans le camp». Et il ajoute : «Dès le premier jour je me suis dis que j’allais m’échapper, chercher des relations avec des personnes extérieures et dire la vérité aux trente personnes qui étaient avec moi que s’il y a avait une chance de sortir j’en étais. Mais les jours passaient. Et un jour je rencontre quelqu’un qui a une permission pour une visite. Il me demande si je suis Simon, je lui réponds que oui, ensuite il me dit que si je peux sortir du camp et passer le poste de garde il m’attendra avec une voiture.[…] Je me suis rasé, j’ai nettoyé mes vêtements et… je suis sorti… j’ai passé le poste de garde à un km de là et je suis arrivé au lieu de rendez-vous, et de là ils n’emmenèrent à Perpignan, puis à Montpellier. »*


* A Montpellier, il est provisoirement hébergé par Paul Reclus qui accueille de nombreux réfugiés anarchistes de la Guerre d’Espagne et participe à la création de Solidarité internationale antifasciste (SIA). P. Reclus est un ancien partisan de la propagande par le fait et de la reprise individuelle.

Retour à la case prison

Gabriel Terra est élu en 1931 à la présidence uruguayenne dans une volonté de modifier la constitution «libérale» de 1917. Avec l’appui de l’armée, de la police et d’une partie des politiciens, il prend le pouvoir le 31 mars 1933, dissout le parlement, censure la presse et arrête de nombreux opposants, instaurant un régime présidentiel fort. Proche des pays fascistes en Europe, il sera réélu en 1934 avant de perdre les présidentielles de 1938. Au début du coup de force de Terra, Radowitzky s’installe temporairement à Sao Paulo au Brésil où il a lié de solides amitiés avec des membres de la Fédération Ouvrière de San Paulo (FOSP). À l’image de ce qu’il se passe en Europe, le Brésil est alors confronté à la montée de mouvements d’extrême-droite. Deux ans après sa création, l’Action Intégraliste Brésilienne organise une marche le 7 octobre 1934 à Sao Paulo comme le firent les fascistes italiens en 1922 à Rome pour porter Mussolini au pouvoir. Des contre-manifestants s’opposent à cette démonstration de force de plusieurs milliers de militants intégralistes : trois flics et deux ouvriers intégralistes sont tués. Des anarchistes sont suspectés d’en être les auteurs et la répression s’abat rapidement sur la FOSP. Sans que cela puisse être clairement établi, un témoin indirect mentionne la présence de Radowitzky à cette manifestation. Dans un entretien accordé en 1997, le militant anarchiste Jaime Cubero (âgé de 8 ans en 1934) dit que Radowitzky – qu’il appelle Simão Rodovich – est de ceux qui tirèrent sur les flics et les droitistes brésiliens, selon des anarchistes présents qui disent l’avoir reconnu. Nous sommes à la limite de la mythologie politique ! Radowitzky revient en Uruguay peu après ces évènements au Brésil. Les activités politiques se font de manière plus discrètes. Avec Virgilio Bottero et Carlos M. Fosalba – tout deux étudiants en médecine proches de l’anarchiste Luce Fabbri – Radowitzky se consacre à la diffusion de propagande clandestine. Caché dans la maison de l’un d’eux, il s’occupe la nuit de la partie impression. Le 7 décembre 1934, il est assigné à résidence par la police uruguayenne. Fin décembre, le chef de la police lui annonce qu’en l’application de la «loi sur les étrangers indésirables» il doit être expulsé. Avec quelques autres indésirables, il est arrêté et incarcéré sur l’île de Flores pour ses activités politiques. Les conditions de détention sont très mauvaises. Des recours juridiques et administratifs sont lancés pour tous ces futurs expulsés. Un à un, les prisonniers sont relâchés, à l’exception de Radowitzky et quatre autres anarchistes. Finalement, l’autorisation de libération est acceptée le 21 mars 1936. Il sort de la prison de Florès pour être assigné à résidence «jusqu’à nouvel ordre», mais n’ayant pas de domicile il est de nouveau incarcéré, à la prison de Montevideo, pour six mois de plus. La mobilisation pour sa libération dépasse les proximités idéologiques comme le montre la lettre ci-après ! «Lettre ouverte au Parti Communiste et à la CGT (Uruguay). Prison Centrale, 22 avril 1936. Au Parti Communiste et à la Confédération Générale du Travail. J’ai eu connaissance que dans votre propagande et dans vos textes, vous aviez fait figurer mon nom, réclamant ma liberté. Je me tourne vers vous en tant qu’anarchiste : je déclare que je ne veux pas être un instrument de propagande pour aucun parti politique, y compris le Parti Communiste dont l’adhésion à la politique du gouvernement russe est absolue. Au nom des anarchistes enfermés dans les prisons et en Sibérie soviétique, au nom des groupes anarchistes détruits et dont la propagande a été interdite en Russie, au nom des camarades fusillés à Cronstadt, au nom de notre camarade [Alfonso] Petrini livré [en juin 1936] par le gouvernement soviétique au fascisme italien, au nom de la Fédération Ouvrière Régionale de l’Uruguay et au nom de nos camarades morts dans les prisons du gouvernement bolchevique et comme une protestation contre les calomnies et diffamations sur nos camarades [Piotr] Kropotkine, [Errico] Malatesta, [Rudolf] Rocker, [Luigi] Fabbri, [Nestor] Makhno, etc. je déclare en tant qu’anarchiste refuser votre appui qui représente une indigne exploitation, menée par les chefs bolcheviques du parti et par la CGT, du généreux sentiment de solidarité qui m’est offert par la classe travailleuse. Simon Radowitzky, Montevideo»

Montevideo, mai 1930

«Compagnons anarchistes et travailleurs d’Argentine : Je suis libre. Je suis de nouveau un Homme parmi les Hommes. De mes 20 ans de souffrance et de résistance en tant qu’anarchiste dans cet horrible bagne argentin, maintenant, je vais pouvoir parler. C’est un accident banal dans la vie de tout révolutionnaire. Maintenant, je veux seulement dire, en guise de meilleures salutations, aux compagnons et prolétaires du monde entier, que mon anarchisme n’a pas reculé en prison, il s’affirme, aujourd’hui, plus fort que jamais, parce que je sais que ma liberté ne signifie pas la liberté du peuple, toujours esclave de la tyrannie de la bourgeoisie. Pour abolir, sur toute la terre, cette tyrannie, je serai toujours parmi vous. Ce n’est pas seulement vous que je veux saluer, mais aussi les compagnons qui sont toujours à Ushuaïa. Vous, travailleurs et anarchistes d’Argentine, prenez le comme une incitation à lutter contre les prisons et à libérer nos prisonniers. Ce salut va aussi à [Alexandro] Scarfo, [Manuel Gomez] Oliver, [Pedro] Mannina, Simplicho et Mariano de la Fuente, Desiderio Funes, les prisonniers de Avellaneda, Mariano Mur et tous ceux qui sont en prison et persécutés par les lois bourgeoises. Luttons pour eux ! Liberté pour eux ! Une embrassade de votre frère Simon Radowitzky. Montevideo, le 19 mai 1930.»

Dans ses premières déclarations Radowitzky annonce qu’il veut retourner en Russie. Mais avant tout projet, il se repose dans une maison au 2058 de la rue Justicia à Montevideo. Il y rencontre pleins de militants anarchistes et syndicalistes. Il y croise des membres de la Bibliothèque Rationaliste Juive, et reste par la suite en contact avec certains d’entre eux. Le numéro 300 du 31 mai 1930 de La Antorcha publie le texte reproduit ci-avant. Malgré son état de santé fragile, il voit et discute inlassablement avec ceux qu’il rencontre. Concernant les accusations de La Protesta contre Di Giovanni le traitant d’agent communiste et en réponse (de celui-ci ?) l’exécution de Aragon le rédacteur du journal, Radowitzky écrit le 6 juillet 1930 : «Il y a dans nos rangs, des éléments à qui nous devons faire entendre raison ; quelque chose a été obtenu, et nous verrons bien si notre presse anarchiste n’est là pour rien de plus que pour la propagande et le mouvement ouvrier». Il ajoute : «Assez d’utiliser ces armes charlatanesques» et «nous devons par dignité, être au dessus de ces histoires. Moi, je sais ce qu’il s’est passé. Quelques camarades, ici, me le racontèrent. C’est sûr, il y a certaines fois où il est impossible de tolérer certains ragots». Un emploi de mécanicien lui est trouvé mais il supporte mal le climat et le changement de rythme ; sa santé se détériore encore. Ses compagnons décident de ne lui confier que des petites activités. Il fait quelques voyages au Brésil. Les flics le soupçonnent «d’apporter des messages et de coordonner des actions» alors qu’il ne dit faire ces voyages que «pour se distraire et se détendre». Dans les années 1930 et 1931, le port de Montevideo est régulièrement un lieu de passage pour les bateaux venant d’Argentine, remplis d’expulsés. Menacés d’un retour en Russie, en Italie ou en Espagne, selon la loi de résidence argentine, certains anarchistes profitent de ce court passage en Uruguay pour faire des demandes d’asile à ce pays. Un réseau auquel participe Radowitzky est mis en place pour faire la liaison entre ces expulsés et les autorités, pour que des permis de séjour soient établis. Mi-septembre 1930, Radowitzky participe à l’évasion de 300 prisonniers expulsés d’Argentine vers leurs pays d’origine, en transit dans le port de Montevideo. En 1930, un Comité contre les dictateurs d’Amérique se constitue dans le but de venir en aide aux réfugiés de la répression politique en Amérique du Sud – mais aussi d’Espagne et d’Italie. Radowitzky y côtoie argentins, uruguayens, péruviens et boliviens. Nous savons peu de choses sur ces activités militantes. Recherché par les flics, Radowitzky est arrêté et interrogé sur son emploi du temps lors de l’évasion par un tunnel de neuf prisonniers, dont quatre anarchistes, de la prison de Punta Carretas à Montevideo le 18 mars 1931. Il est relâché, sans suite. Cinq anarchistes dont Roscigna seront condamnés à six années de prison pour cette évasion. Après leur expulsion vers l’Argentine et leur livraison aux flics, quatre d’entre eux disparaîtront à jamais, sans doute exécutés par les flics ou les militaires.

En 1933, un Congrès Antiguerre Latino-américain se réunit à Montevideo à l’initiative des communistes. Une délégation d’anarchistes d’Argentine et d’Uruguay, dont Radowitzky, se rend à ce congrès pour y réaffirmer une position antimilitariste dans la guerre du Chaco qui oppose Bolivie et Paraguay entre 1932 et 1935.

Dans la rade du port de Buenos Aires

Le 14 mai 1930, en provenance d’Ushuaïa, le bateau de l’armée argentine transportant Radowitzky arrive dans la rade du port de Buenos Aires. Ensuite, à mi-chemin entre l’Argentine et l’Uruguay, le prisonnier est transféré sur un bateau uruguayen, direction Montevideo. «Les Argentins nous envoient en cadeau l’indésirable parce qu’ils ne savent pas quoi faire de lui, et nous, les uruguayens, devons nous mettre à leur disposition pour résoudre leurs problèmes». Malgré ces critiques d’une partie de la presse, l’Uruguay accepte la proposition argentine. Radowitzky peut s’y installer. Pour son arrivée au petit matin du 15 mai dans le port de Montevideo, des compagnons anarchistes de Buenos Aires et d’Uruguay sont venus l’accueillir ; parmi eux d’anciens prisonniers d’Ushuaïa. Dernière étape avant de débarquer, des médecins de l’immigration l’examinent et diagnostiquent qu’il «a le poumon gauche très affecté».