Solidarités & propagande par le fait

Tous les journaux anarchistes continuent à parler régulièrement de Radowitzky. Il reçoit de nombreuses lettres et aussi quelques visites, dont Matilde Carreras, une anarchiste argentine vivant en Uruguay qui se fait passer pour sa concubine et lui transmet les courriers de ses compagnons de Buenos Aires. Dans une lettre datée de janvier 1921 adressée à la FORA, Radowitzky y explique l’acharnement qu’il subit et le traitement réservé à ses compagnons d’enfermement qui souffrent aussi de maladie et de malnutrition. «Pour l’anniversaire de mon évasion, un groupe de musique avait joué sous ma fenêtre de 8 heures à 11 heures du matin ; ainsi que l’après-midi de 13 heures à 18 heures ; eux s’amusaient à me rappeler la date de mon échec. Ces trente hommes avec un chef d’orchestre croyaient me déranger, me faire souffrir, mais moi je riais de la perversité de mes bourreaux. Par manque d’aliment, par manque d’assistance médicale (à ce moment, ils interdisaient au médecin l’entrée du bagne parce qu’il protestait contre l’usage abusif du cachot), par manque d’air et de lumière, je suis malade. J’ai sollicité l’infirmier et pour le faire venir, j’ai dû crier de la fenêtre mais les gardiens n’ont pas prévenu la garde et se sont excusés en disant qu’ils avaient oublié». L’année 1921 est secouée par une vague d’attentats anarchistes. L’anarchiste espagnol Andrés Vazquez Paredes est arrêté et condamné à la prison. Le 22 novembre 1923, armé d’un revolver, l’anarchiste Desiderio Funes tire et blesse Manuel Carles, le président de la Ligue patriotique argentine. En 1924, Miguel Arcangel Roscigna se fait employer comme gardien de prison afin de faciliter une évasion de Radowitzky. Il est dénoncé lors d’une assemblée ouvrière se tenant à Buenos Aires. Il est expulsé du bagne par les flics mais a le temps de mettre le feu à la maison du directeur. Roscigna explique : «En laissant de coté les détails, je dirai que surpassant mes prévisions, peu de temps après mon arrivée à Ushuaïa, je disposais déjà de tout le nécessaire pour préparer une évasion pour deux compagnons. J’étais content car mes aspirations étaient comblées – libérer au moins Radowitzky et un autre – j’ai communiqué la bonne nouvelle aux intéressés et je leur ai demandé de se préparer à l’avance pour cette fuite. Une joie immense envahie les deux camarades ainsi que le reste des compagnons et sympathisants de la population du bagne. Mais le résultat de la communication de cette décision est qu’ils insistèrent pour que je m’efforce à chercher des moyens pour faciliter la fuite du reste des prisonniers de délits sociaux. Je leur fis comprendre que des exigences telles, modifiaient l’entreprise commencée et seraient très difficile à suivre, prenant de grandes proportions, cacher, équiper et préparer le voyage de huit fuyards (volontaires). D’autre part, le risque que je cours d’être découvert ou d’échouer, je dois m’y préparer aussi». Né à Buenos Aires en 1891 dans une famille de migrants italiens arrivée en 1887, Miguel Arcangel Roscigna est un ouvrier métallurgiste, syndicaliste et anarchiste. Il se donne pour but de venir en aide financièrement aux prisonniers et de réunir des fonds en vue de préparer des évasions. Avec Andrés Vazquez Paredes et Emilio Uriondo, il participe en 1924 à un braquage avec le groupe Los Solidarios de Buenaventura Durruti, Francisco Ascaso, Alejandro Ascaso et Gregorio Jover, et publie à partir de 1925 El Preso Social, le journal du comité d’aide aux prisonniers. Dans une lettre datée de juin 1924, Radowitzky raconte les brimades des matons membres de la Ligue Patriotique, la succession de périodes d’isolement au pain sec et à l’eau et les mises aux travaux forcés dans la carrière. «J’ai travaillé quelques jours, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’ils viennent pour m’enfermer de nouveau. Ils me mirent une autre période au pain sec et à l’eau et levèrent encore une fois la punition m’obligeant à travailler, aux travaux forcés. Toute tâche difficile et humiliante, ils me la gardaient. J’étais complètement isolé et avec interdiction de parler. Vu que maintenant j’entrai dans une période où le cachot, au pain sec et à l’eau, ne m’était plus pesant, ils voulaient en finir avec moi à force de travail et d’enfermement. Je n’écris pas cette lettre au son des plaintes ou des protestations ; non, ce n’est pas mon intention ; j’espère seulement te dire que ma persécution, je la dois à quelques individus qu’il y a ici et qui sont de la Ligue patriotique». Cette même année le bagne passe de l’autorité militaire à celle du ministère de l’Intérieur. En 1925, un journaliste qui a rencontré Radowitzky raconte : «Il a 34 ans et ça fait 16 ans qu’il est au bagne, et qu’il y fait toutes sortes de travail. Sa cellule est un modèle de propreté et on peut y voir quelques portraits de famille. Quand nous le rencontrons, il est un peu fiévreux et a enveloppé son cou dans une écharpe bleue. Il est volontaire pour parler, nous dirions presque loquace. Mais par moment, à cause de son manque d’habitude à tenir de longues conversations, il répète ce qu’il a déjà dit. Il est simple dans ses expressions et parfois quelques mots d’argot criollo lui échappent mais il se corrige de suite et s’excuse. Il sait qu’en tant qu’anarchiste il garde sa côte de popularité et que ses compagnons ont tressé une couronne de martyr sur sa tête, mais il dit que de telles manifestations le dérangent, qu’il n’a pas tué Falcon pour être célébré mais sous l’impulsion de ses convictions. Il reçoit de l’aide du groupe Afinidad en vivres et en médicaments, surtout toniques». Les actions de solidarité avec Radowitzky sont diverses. En 1927, Diego Abad de Santillan et Marcial Belascoain Sayos publient Simon Radowitzky, el vengador y el martir. Santillan est alors l’un des rédacteurs de La Protesta – et futur conseiller économique au ministère de l’économie de la Catalogne pendant la guerre d’Espagne ! Emilio Uriondo et Roscigna sont accusés, en juin 1927, d’avoir fabriqué une bombe planquée dans un livre et destinée au directeur du bagne d’Ushuaïa. Faute de preuves, Roscigna est relâché. Il déclare aux flics qu’il a abandonné ses «idées anarchistes, que sa participation aux luttes ouvrières est une histoire de jeunesse et qu’à 36 ans, il consacre désormais son temps à étudier l’aviculture, pour installer prochainement un élevage» ! Cette même année, Severino Di Giovanni et Paulino Scarfo fabriquent une bombe qu’ils cachent dans un colis de nourriture à destination de Juan José Piccini, directeur du bagne d’Ushuaïa. Prudent, le chef des matons déjoue le plan et n’est pas blessé lors de l’explosion. Le 24 décembre 1927, une bombe explose contre les banques nord-américaines First National Bank of Boston et National City Bank of New York. Di Giovanni écrit : «Nous revendiquons comme nôtre les attentats violents qu’il y a eu à l’encontre des deux institutions bancaires des États-Unis. Nous nettoyons d’une main ferme les éclaboussures de venins lancées contre des forgerons anonymes de la véritable action anarchiste : contre ces compagnons qui ont payé leur dette, que nous avions retrouvé avec les morts sous les coups de la ploutocratie nord-américaine. Ceux-là, ceux de la «violence franciscaine», ne sont pas dignes de réclamer la liberté de Simon Radowitzky. Eux ont l’âme et les mains salies par l’infamie et le crime, la lâcheté et le sang, et les héros purs – comme Simon Radowitzky – ne doivent pas être défendus et libérés par de tels vendus, par de tels porcs. Nous, en revendiquant le geste contre les deux banques nord-américaines, nous saurons aussi gagner la liberté du martyr de Ushuaïa par les actions de la lutte anarchiste.» Né en 1901 en Italie, Severino Di Giovanni, arrive en Argentine en 1923. Avec plusieurs autres anarchistes il participera à de nombreuses actions explosives contre des bâtiments officiels, des cibles liées au fascisme en Italie et à la répression contre les anarchistes, et à plusieurs braquages. L’argent collecté lors des expropriations servait entre autre à imprimer clandestinement des journaux, dont Culmine, et des textes, ainsi qu’à faire fonctionner une bibliothèque ambulante. La fratrie Paulino, Alejandro et America Scarfo sont des anarchistes «expropriateurs» liés à Severino Di Giovanni avec qui ils réalisent de nombreuses actions depuis 1927. America est aussi la compagne de Di Giovanni. Arrêtés, Di Giovanni et Paulino Scarfo sont condamnés à mort et fusillés début février 1931. America, encore mineure, est libérée. Manuel Gomez Oliver et Alejandro Scarfo sont condamnés à perpétuité en août 1929 pour une tentative d’attentat contre la cathédrale de Buenos Aires. Accusés d’en être les coauteurs, Pedro Mannina et les frères Simplicio et Mariano de la Fuente sont condamnés à quinze années de prison. En appel, les peines sont revues à la baisse faute de preuves. Alejandro est libéré en 1935 après quelques années de prison pour la tentative d’assassinat en novembre 1928 de Herbert Hoover, candidat à l’élection présidentielle aux États-Unis en visite en Argentine. America mourra à l’âge de 93 ans en 2006.