Féministes anarchistes

Présentes dans les associations de défense des prisonniers, dans des groupes informels de travailleuses ou parfois dans les colonnes des journaux anarchistes, des migrantes anarchistes s’organisent collectivement dès 1880. Les deux premières grèves exclusivement d’ouvrières ont lieu en 1881 et en 1888. La Société Cosmopolite des Ouvrières Couturières, fondée en 1893, est le premier syndicat créé en Argentine par des ouvrières elles-mêmes. Les femmes représentent alors plus de 15% des emplois de l’industrie. Pour les mêmes raisons qu’en Europe, les migrantes sont majoritairement cantonnées dans des métiers considérés comme féminins (service, éducation, soins, prostitution, etc.) et dans le rôle de femme-mère, gestionnaire du foyer et reproductrice. Impulsée par Virginia Bolten, la première publication anarchiste féministe La Voz de la Mujer (La voix de la femme), sous-titrée «Ni Dieu, ni patron, ni mari», est éditée à partir de 1896, suivie dans les premières décennies du siècle suivant par Nuestra Tribuna (Notre Tribune). Dans ces périodiques, des femmes expriment leurs revendications, dénoncent leur situation quotidienne et les places qui leur sont réservées. Le quotidien des anarchistes argentins est fait de misère ouvrière et lorsque des militants sont envoyés en prison ou deviennent clandestins, leurs compagnes se retrouvent à devoir gérer cela, en plus de toutes les tâches du quotidien, diminuant de fait le temps passé à militer pour leurs idées anarchistes et les renvoyant encore plus dans un rôle de gestionnaires du foyer. Dans un milieu politique qui critique la situation faite aux femmes, ceci est un sujet récurrent dans les écrits des féministes argentines. Par manque de temps, la plupart des militantes fréquentes des groupes mixtes sans avoir les possibilités de s’auto-organiser réellement. En 1902 se constitue le groupe de femmes dénommé Las Libertarias qui déclare : «Compagnonnes. Dans presque toutes les villes du monde civilisé, les femmes prolétaires s’unissent et essayent de s’émanciper en s’imposant à la bourgeoisie exploitante. Unissons-nous, femmes prolétaires, non seulement pour élargir notre groupe, mais aussi pour nous instruire réciproquement. Les luttes partielles que nous soutenons maintenant peuvent être prochainement solidaires et contemporaines de celles de tous et toutes les travailleurs, sans distinction de sexe». Deux ans plus tard un éphémère Comité de Grève Féminine, proche de la Fédération Ouvrière Argentine, voit le jour. Ces groupes de femmes – dont la plupart travaillent à la pièce dans et hors des ateliers et usines – rédigent des manifestes qu’elle distribuent à la sortie des usines, dans les ateliers, ou dans les conventillos (bidonvilles populaires) pour celles qui travaillent chez elles. Elles appellent à la solidarité entre femmes et à la constitution de comités de lutte. Entre 1902 et 1905, plusieurs syndicats professionnels de femmes se montent à travers le pays. Parallèlement se créent plusieurs groupes dont l’un se transforme en 1907 en Centro Femenino Anarquista (Centre Féminin Anarchiste). Pendant cette même période Juana Rouco Buela organise à Rosario le groupe Louise Michel. Leur manifeste se caractérise par un style véhément et combatif contre l’esclavage et l’exploitation dans le domaine quotidien de la famille et du foyer, et font leur la «liberté amoureuse» prônée par les anarchistes américaines de la fin du XIXème siècle. En 1900, environ deux mille cinq cents conventillos regroupent cinquante mille personnes dans quelques vingt mille chambres construites en bois et en taule. En général, dans ces chambres de vingt mètres carrés, louées pour l’équivalent d’un quart du salaire, sans eau ni installations sanitaires, s’entassent des familles ou des groupes de personnes seules. En août 1907, un décret municipal autorise une augmentation des loyers dans les conventillos. Pendant trois mois, dans environ un milliers de conventillos de Buenos Aires, Rosario et Bahia Blanca, les locataires tiennent tête aux propriétaires et refusent de payer les loyers, la FORA et l’UGT organisant des comités de lutte dans chaque quartier. Les femmes sont centrales dans cette lutte, tant par la place (forcée) qu’elles occupent dans la gestion quotidienne du foyer que par leur participation active dans les occupations, les prises de parole ou les manifestations – dont l’une est mortelle pour le jeune anarchiste Miguel Pepe tué par la police. La plupart des propriétaires finissent par plier et acceptent de ne pas augmenter les loyers.