Montevideo, mai 1930

«Compagnons anarchistes et travailleurs d’Argentine : Je suis libre. Je suis de nouveau un Homme parmi les Hommes. De mes 20 ans de souffrance et de résistance en tant qu’anarchiste dans cet horrible bagne argentin, maintenant, je vais pouvoir parler. C’est un accident banal dans la vie de tout révolutionnaire. Maintenant, je veux seulement dire, en guise de meilleures salutations, aux compagnons et prolétaires du monde entier, que mon anarchisme n’a pas reculé en prison, il s’affirme, aujourd’hui, plus fort que jamais, parce que je sais que ma liberté ne signifie pas la liberté du peuple, toujours esclave de la tyrannie de la bourgeoisie. Pour abolir, sur toute la terre, cette tyrannie, je serai toujours parmi vous. Ce n’est pas seulement vous que je veux saluer, mais aussi les compagnons qui sont toujours à Ushuaïa. Vous, travailleurs et anarchistes d’Argentine, prenez le comme une incitation à lutter contre les prisons et à libérer nos prisonniers. Ce salut va aussi à [Alexandro] Scarfo, [Manuel Gomez] Oliver, [Pedro] Mannina, Simplicho et Mariano de la Fuente, Desiderio Funes, les prisonniers de Avellaneda, Mariano Mur et tous ceux qui sont en prison et persécutés par les lois bourgeoises. Luttons pour eux ! Liberté pour eux ! Une embrassade de votre frère Simon Radowitzky. Montevideo, le 19 mai 1930.»

Dans ses premières déclarations Radowitzky annonce qu’il veut retourner en Russie. Mais avant tout projet, il se repose dans une maison au 2058 de la rue Justicia à Montevideo. Il y rencontre pleins de militants anarchistes et syndicalistes. Il y croise des membres de la Bibliothèque Rationaliste Juive, et reste par la suite en contact avec certains d’entre eux. Le numéro 300 du 31 mai 1930 de La Antorcha publie le texte reproduit ci-avant. Malgré son état de santé fragile, il voit et discute inlassablement avec ceux qu’il rencontre. Concernant les accusations de La Protesta contre Di Giovanni le traitant d’agent communiste et en réponse (de celui-ci ?) l’exécution de Aragon le rédacteur du journal, Radowitzky écrit le 6 juillet 1930 : «Il y a dans nos rangs, des éléments à qui nous devons faire entendre raison ; quelque chose a été obtenu, et nous verrons bien si notre presse anarchiste n’est là pour rien de plus que pour la propagande et le mouvement ouvrier». Il ajoute : «Assez d’utiliser ces armes charlatanesques» et «nous devons par dignité, être au dessus de ces histoires. Moi, je sais ce qu’il s’est passé. Quelques camarades, ici, me le racontèrent. C’est sûr, il y a certaines fois où il est impossible de tolérer certains ragots». Un emploi de mécanicien lui est trouvé mais il supporte mal le climat et le changement de rythme ; sa santé se détériore encore. Ses compagnons décident de ne lui confier que des petites activités. Il fait quelques voyages au Brésil. Les flics le soupçonnent «d’apporter des messages et de coordonner des actions» alors qu’il ne dit faire ces voyages que «pour se distraire et se détendre». Dans les années 1930 et 1931, le port de Montevideo est régulièrement un lieu de passage pour les bateaux venant d’Argentine, remplis d’expulsés. Menacés d’un retour en Russie, en Italie ou en Espagne, selon la loi de résidence argentine, certains anarchistes profitent de ce court passage en Uruguay pour faire des demandes d’asile à ce pays. Un réseau auquel participe Radowitzky est mis en place pour faire la liaison entre ces expulsés et les autorités, pour que des permis de séjour soient établis. Mi-septembre 1930, Radowitzky participe à l’évasion de 300 prisonniers expulsés d’Argentine vers leurs pays d’origine, en transit dans le port de Montevideo. En 1930, un Comité contre les dictateurs d’Amérique se constitue dans le but de venir en aide aux réfugiés de la répression politique en Amérique du Sud – mais aussi d’Espagne et d’Italie. Radowitzky y côtoie argentins, uruguayens, péruviens et boliviens. Nous savons peu de choses sur ces activités militantes. Recherché par les flics, Radowitzky est arrêté et interrogé sur son emploi du temps lors de l’évasion par un tunnel de neuf prisonniers, dont quatre anarchistes, de la prison de Punta Carretas à Montevideo le 18 mars 1931. Il est relâché, sans suite. Cinq anarchistes dont Roscigna seront condamnés à six années de prison pour cette évasion. Après leur expulsion vers l’Argentine et leur livraison aux flics, quatre d’entre eux disparaîtront à jamais, sans doute exécutés par les flics ou les militaires.

En 1933, un Congrès Antiguerre Latino-américain se réunit à Montevideo à l’initiative des communistes. Une délégation d’anarchistes d’Argentine et d’Uruguay, dont Radowitzky, se rend à ce congrès pour y réaffirmer une position antimilitariste dans la guerre du Chaco qui oppose Bolivie et Paraguay entre 1932 et 1935.