Retour à la case prison

Gabriel Terra est élu en 1931 à la présidence uruguayenne dans une volonté de modifier la constitution «libérale» de 1917. Avec l’appui de l’armée, de la police et d’une partie des politiciens, il prend le pouvoir le 31 mars 1933, dissout le parlement, censure la presse et arrête de nombreux opposants, instaurant un régime présidentiel fort. Proche des pays fascistes en Europe, il sera réélu en 1934 avant de perdre les présidentielles de 1938. Au début du coup de force de Terra, Radowitzky s’installe temporairement à Sao Paulo au Brésil où il a lié de solides amitiés avec des membres de la Fédération Ouvrière de San Paulo (FOSP). À l’image de ce qu’il se passe en Europe, le Brésil est alors confronté à la montée de mouvements d’extrême-droite. Deux ans après sa création, l’Action Intégraliste Brésilienne organise une marche le 7 octobre 1934 à Sao Paulo comme le firent les fascistes italiens en 1922 à Rome pour porter Mussolini au pouvoir. Des contre-manifestants s’opposent à cette démonstration de force de plusieurs milliers de militants intégralistes : trois flics et deux ouvriers intégralistes sont tués. Des anarchistes sont suspectés d’en être les auteurs et la répression s’abat rapidement sur la FOSP. Sans que cela puisse être clairement établi, un témoin indirect mentionne la présence de Radowitzky à cette manifestation. Dans un entretien accordé en 1997, le militant anarchiste Jaime Cubero (âgé de 8 ans en 1934) dit que Radowitzky – qu’il appelle Simão Rodovich – est de ceux qui tirèrent sur les flics et les droitistes brésiliens, selon des anarchistes présents qui disent l’avoir reconnu. Nous sommes à la limite de la mythologie politique ! Radowitzky revient en Uruguay peu après ces évènements au Brésil. Les activités politiques se font de manière plus discrètes. Avec Virgilio Bottero et Carlos M. Fosalba – tout deux étudiants en médecine proches de l’anarchiste Luce Fabbri – Radowitzky se consacre à la diffusion de propagande clandestine. Caché dans la maison de l’un d’eux, il s’occupe la nuit de la partie impression. Le 7 décembre 1934, il est assigné à résidence par la police uruguayenne. Fin décembre, le chef de la police lui annonce qu’en l’application de la «loi sur les étrangers indésirables» il doit être expulsé. Avec quelques autres indésirables, il est arrêté et incarcéré sur l’île de Flores pour ses activités politiques. Les conditions de détention sont très mauvaises. Des recours juridiques et administratifs sont lancés pour tous ces futurs expulsés. Un à un, les prisonniers sont relâchés, à l’exception de Radowitzky et quatre autres anarchistes. Finalement, l’autorisation de libération est acceptée le 21 mars 1936. Il sort de la prison de Florès pour être assigné à résidence «jusqu’à nouvel ordre», mais n’ayant pas de domicile il est de nouveau incarcéré, à la prison de Montevideo, pour six mois de plus. La mobilisation pour sa libération dépasse les proximités idéologiques comme le montre la lettre ci-après ! «Lettre ouverte au Parti Communiste et à la CGT (Uruguay). Prison Centrale, 22 avril 1936. Au Parti Communiste et à la Confédération Générale du Travail. J’ai eu connaissance que dans votre propagande et dans vos textes, vous aviez fait figurer mon nom, réclamant ma liberté. Je me tourne vers vous en tant qu’anarchiste : je déclare que je ne veux pas être un instrument de propagande pour aucun parti politique, y compris le Parti Communiste dont l’adhésion à la politique du gouvernement russe est absolue. Au nom des anarchistes enfermés dans les prisons et en Sibérie soviétique, au nom des groupes anarchistes détruits et dont la propagande a été interdite en Russie, au nom des camarades fusillés à Cronstadt, au nom de notre camarade [Alfonso] Petrini livré [en juin 1936] par le gouvernement soviétique au fascisme italien, au nom de la Fédération Ouvrière Régionale de l’Uruguay et au nom de nos camarades morts dans les prisons du gouvernement bolchevique et comme une protestation contre les calomnies et diffamations sur nos camarades [Piotr] Kropotkine, [Errico] Malatesta, [Rudolf] Rocker, [Luigi] Fabbri, [Nestor] Makhno, etc. je déclare en tant qu’anarchiste refuser votre appui qui représente une indigne exploitation, menée par les chefs bolcheviques du parti et par la CGT, du généreux sentiment de solidarité qui m’est offert par la classe travailleuse. Simon Radowitzky, Montevideo»